photo: Pierre Dury
JUSTE LA FIN DU MONDE
21-09-16
Juste la fin du monde. Voilà un film taillé sur mesure pour les cinémas Beaubien et du Parc, deux irréductibles salles montréalaises dédiées au cinéma d’auteur. Deux endroits où il est normal, attendu, d’avoir des propositions qui nous sortent du mainstream cinématographique. Qui plus est, ces deux salles sont les seules à pouvoir offrir à leur public une projection en 35mm, le support que le réalisateur Xavier Dolan a choisi pour tourner son film.
Juste la fin du monde a été fait au Québec, mais c’est un film français-français comme il n’en existe presque plus en France. Bavard et psychologique. Avec une famille qui s’engueule à qui mieux mieux. Mais le venin qui sort de leurs bouches ne les tue pas. Cette vie d’invectives les a carapacés, sauf peut-être Louis, dont le retour parmi les siens déclenchera un tsunami émotif.
Louis, début trentaine, se présente après 12 ans d’absence. Il veut annoncer sa mort imminente à sa mère, son frère et sa sœur. Entre le babillage étourdissant de la mère, la pensée confuse de la sœur et la violence verbale du frère, il y aura peu d’espace pour partager la mauvaise nouvelle. Chacun grommelle un ressentiment indéfini. Le plus près qu’on ira de la vérité c’est dans le bredouillage ‘’malaisant’’ de la belle-sœur.
Ce qui rend cette grande misère humaine à communiquer si passionnante à suivre c’est la performance absolument éblouissante de chaque acteur.
Le Louis de Gaspard Ulliel est un auteur à succès qui, chez lui, se trouve condamné au silence. Sa souffrance suinte par tous les pores de la peau de l’acteur. Une prestation toute en retenue.
Nathalie Baye, elle, explose dans le rôle de la mère se laissant aller à une hystérie qu’on pourrait comparer à la mommy de Anne Dorval. Mais il ne faut pas réduire sa performance à ce numéro d’acteur. Sa grande scène, un face à face mère-fils, se joue sur un autre registre qui mélange culpabilité, amour et instinct maternel. Magistral.
Marion Cotillard s’acquitte avec bravoure de la partition la plus difficile. Dans cette famille qui gueule, elle est la belle-sœur effarouchée qui essaie de dénouer la parole au prix de balbutiements qui nous font nous tortiller dans notre siège tant c’est difficile à sortir.
Les personnages de Léa Seydoux et Vincent Cassel sont moins nuancés, mais tout de même percutants. Ils crachent comme des volcans en gardant le mystère sur l’origine de leur éruption.
La justesse de ton, du début à la fin, est phénoménale et ça on le doit à Xavier Dolan qui dirige ce quintette de grands acteurs français avec une maitrise remarquable. Tellement qu’on n’a plus envie de parler de son âge, mais de ses années d’expérience derrière la caméra : 6 films en 7 ans. Ça paraît!
Si son pari avec Juste la fin du monde n’avait pas marché, on l’aurait su immédiatement, car tout est filmé en gros plans, un choix qui ne tolère pas la demi-mesure. Alors qu’ici, la direction d’acteur, la composition de l’image, les valeurs de plans, le rythme du montage, on a vraiment l’impression de renouer avec le 7e art. Et avec André Turpin à la direction photo, ce huis clos anxiogène est magnifié passant par toute une gamme de tonalités, du sombre à l’éblouissant, du flou au cru.
Le film Juste la fin du monde est basé sur une pièce de théâtre de l’auteur français Jean-Luc Lagarce (1957-1995) écrite en 1990. Xavier Dolan en a fait un film, un film de dialogues touffus, soit, mais qui s’échappe par moments pour offrir une soupape aux spectateurs et, on pourrait dire, aux personnages aussi. Ces moments, qui mettent la musique en avant, sont une sorte de signature dans le cinéma Dolan. Cette fois encore, c’est du pur bonheur cinéphilique.
Juste la fin du monde suscitera des réactions très partagées. Je suis dans le camp des conquis.
Par souci de transparence, je vous informe que je suis membre du conseil d'admnistration des cinémas Beaubien et du Parc