photo: Pierre Dury
Forteresses et autres refuges de Rafaële Germain
12-07-2023
Dans un mois on sera le 12 août, et ce sera la 10e édition de la campagne ‘’Le 12 août, j’achète un livre québécois’’.
Pour savoir quoi acheter, ça prend des fois des suggestions. Mon petit côté passeur prend de l’avance et veut vous suggérer ma première lecture de vacances. Un coup de foudre, pour une plaquette de 126 pages: Forteresses et autres refuges de Rafaële Germain chez Québec Amérique.
L’éditrice de Québec Amériques, Danielle Laurin, a eu la bonne idée de demander à cette écrivaine douée de participer à sa collection III. Trois pour 3 récits inspirés de la mémoire.
Rafaële Germain a accepté et choisi d’écrire sur les souvenirs qu’elle garde de sa mère, Francine Chaloult, figure marquante du show-business québécois.
Des années 1970 aux années 2020, Francine Chaloult s’est occupé des relations de presse des plus grands noms de la scène musicale, de Gilles Vigneault à Céline Dion, en passant par Clémence, Charlebois, Deschamps, Ferland, Plamondon, et tant d’autres. Pour un journaliste culturel comme moi, Francine Chaloult était une figure incontournable.
Comme disait Francine, il y a ceux qui font la parade, ceux qui la regardent et ceux qui l’organisent. Elle était de ce dernier groupe: au cœur de l’ascension de Céline, sur la ligne de départ de Notre-Dame de Paris, dans le tourbillon du phénomène Roch Voisine. Je sais encore par cœur le numéro de téléphone de son bureau.
Le choix de Rafaële Germain de parler de cette mère phénomène est d’autant plus intéressant que Francine Chaloult a fini ses jours l’an dernier emportée par cette maladie qui oblitère tous les souvenirs, la maladie d’Alzheimer.
Ajoutez à ça que son père, le prolifique auteur et journaliste Georges-Hébert Germain est décédé pas longtemps avant, en 2015, des suites d’un cancer du cerveau.
‘’J’ai assisté, deux fois plutôt qu’une, au rétrécissement d’une mémoire, à l’agonie d’un écosystème intérieur, à la mort lente de la perception qu’une personne a d’elle même et du monde. Ça finit par donner une densité particulière au mot ‘’souvenir’’.''
Vous avez donc là une femme qui réfléchit avec une lucidité décapante sur le véritable poids de la mémoire. ‘’Que veut-on garder de ce que le monde a déposé en nous?’’ écrit-elle.
Qu’est-ce qu’on fait des boîtes de souvenirs (pêle-mêle?) de nos parents?
Moi, ça m’a beaucoup interpellé: qu’est-ce que je fais de mes archives matérielles dans un casier au sous-sol? de mes souvenirs épars dans ma tête?
Rafaële Germain, elle, a écrit ce livre. Elle le fait en se servant des souvenirs de sa mère qu’elle passe au tamis de ses propres souvenirs de fille unique, et sa grille d’enfant devenue adulte, affranchie de ses géniteurs, elle le bébé stérilet de ses parents.
Quand on connaît un peu Francine Chaloult et Georges-Hébert Germain, on ne peut s’empêcher de trouver ça destroy par bout.
Elle les représente comme des vainqueurs qui se sentent invincibles dans un monde où les gens qu’ils fréquentent (sans jamais les nommer, mais on les connaît) sont comme eux intouchables et immortels.
‘’La culpabilité et la remise en question n’existaient pas, tout était dû à ces enfants prodiges qui avaient été laissés à eux-mêmes, naïfs maîtres d’un monde dont la générosité semblait inépuisable, une corne d’abondance d’une inaltérable bienveillance.’’
On n’est pas surpris de retrouver Rafaële Germain au nombre des scripteurs attitrés de Marc Labrèche. Vous savez quand le grand blond est si juste dans la caricature, que son réalisme fait mal.
Je me suis souvent demandé en lisant ce livre s’il fallait connaître Francine Chaloult pour apprécier l’histoire que sa fille nous raconte de sa mère, et je conclus que non.
Tout le monde peut être fasciné par le destin de cette femme née Lévesque à Saint-Félicien en 1939, fille de docteur qui passe par la fameuse éducation religieuse, mariée ensuite à un docteur (dont elle gardera d’ailleurs le patronyme après sa séparation), une force de la nature qui crée sa légende grâce à un caractère hors du commun.
Tout ça est passionnant.
Et on a beaucoup à apprendre des épisodes de la fin de sa vie alors que la mémoire est lessivée par la maladie.
‘’Ma mère, durant sa dernière année: un naufrage, une ruine, une révolte -un torrent….Elle était tout cela à la fois, la forteresse et la tempête, tous ces états qu’on pourrait croire antithétiques, un déluge au milieu du désert.’’
Et vous voyez, par cet extrait, qu’il y a comme raison ultime de lire ce livre, l’écriture de Rafaële Germain. Son style est tout à fait éblouissant. C’est son papa, Georges-Hébert Germain, lui même orfèvre des mots, qui aurait été fier.