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Mon Serge Fiori
14-07-2025

Le 24 juin 2025, Serge Fiori (1952-2025) a laissé dans le deuil tous ceux qui l’ont suivi au fil de sa carrière. Chacun a son rapport avec cet artiste. Chacun de nous l’entendions avec notre bagage. Comme si sa voix nous atteignait personnellement.

J’ai eu envie de refaire le fil de ma relation avec lui.

‘’Avec le groupe Harmonium, Beau Dommage s’est avéré la révélation de l’année 1974…’’

C’est ainsi que j’ai parlé publiquement d’Harmonium pour la première fois.

En 1975, dans le journal étudiant de mon école secondaire, j’avais tenu, par la bande, à mettre le nom de ce nouveau groupe que j’avais découvert en juin 1974 (le 6/6/74, tel qu’écrit sur la pochette du disque à côté de ma signature), même si ma critique portait sur le premier disque de Beau Dommage (paru en décembre 1974).

Tout ça pour dire qu’Harmonium est entré dans ma vie avant Beau Dommage. Et s’il fallait choisir, je dirais que je suis plus de l’équipe Fiori que de celle de Rivard, même si le destin de ces deux-là sont intimement liés, et que chacun a transformé le Québec à sa manière.

Six semaines après avoir acheté Harmonium (disque à la pochette plus qu’improbable avec, pour illustration, une gravure de Nicolas II de Larmessin 1632-1694), j’ai eu la chance de voir le groupe une première fois dans ma région. Plus précisément à l’Astrolabe, théâtre en plein air situé sur la Pointe Nepean à Ottawa avec vue sur la rivière des Outaouais, le pont Interprovincial et le Parlement du Canada. Un lieu magique, pour un spectacle qui l’avait été tout autant.

Après avoir écouté sans répit ce premier disque éponyme, je n’ai pas eu longtemps à attendre pour me mettre de nouvelles chansons d’Harmonium dans les oreilles. Le 15 avril 1975 sort Les cinq saisons.

Dans mon journal intime, en date du 19 avril 1975, j’écris :

 

‘’aujourd’hui j’ai acheté 2 belles chemises à manches courtes, et le disque d’Harmonium qui est très bon, d’ailleurs que papa aime (2e morceau)….’’

Pas surprenant que Marie-Joseph aime cette deuxième pièce, c’est la très singulière Dixie qu’on peut voir comme un hommage de Serge Fiori à son père Georges, chef d’un orchestre de style Big Band. Dixie est tellement différente du reste du disque. Mon père aimait aussi Laurence Welk et Ta-ra-ra Boom-de-Ay!  

Aussi entiché que j’aie pu être de la musique d’Harmonium, mon journal me confirme que j’ai manqué les trois spectacles que le groupe a donné dans l’Outaouais cette année-là : le 1er mars 75 au Centre national des arts, et les 1er et 2 avril 75 à la Polyvalente de Gatineau.

Ces deux représentations à Gatineau s’expliquent sans doute par l’origine du batteur d’Harmonium. Denis Farmer (1949-1993 était un fier natif de Gatineau (mort des suites d’un anévrisme au cerveau).

L’année suivante, le 10 décembre 1976, deux semaines avant Noël, je me fais le cadeau de l’heptade. Je ne sais pas alors que la grande production d’Harmonium, lancée le 15 novembre 1976, deviendra aussi historique que l’élection du Parti Québécois annoncée par Bernard Derome le même jour.

De cinq qu’ils étaient sur Les Cinq saisons, le groupe passe à sept sur l’heptade.  Fiori est toujours le leader du groupe, et fait équipe avec Michel Normandeau, Louis Valois, Serge Locat, Libert Subirana, Robert Stanley, et Denis Farmer.

L’heptade est un mot-valise: hept (7 en grec) et Iliade (la fameuse épopée d’Homère). Le concept du disque tourne donc autour du chiffre 7 : 7 musiciens, 7 chansons, 7 niveaux de conscience. Même pas besoin de fumer, avec cette musique on devient high en restant straight.

Je suis encore un jeune homme de peu de mots. Dans mon journal intime, je me contente de ceci en décembre 1976 :

‘’J’ai acheté Harmonium, c’est fabuleux. C’est pur, c’est beau…’’.

 

Le 27 mars 1977, avec mon ami Jacques, je vais voir le spectacle l’heptade dans la grande salle du Centre national des arts, l’Opéra, dont le spectaculaire rideau en filaments de nylon (Rideau d’opéra 1969), signé Micheline Beauchemin, me fascine à chaque visite.

Ma critique est un peu plus élaborée, mais il me faut beaucoup d’humilité pour oser la reproduire, même 48 ans plus tard. Il faut aussi assumer l’influence de Jacques Languirand que j’écoutais assidument à 19 heures à la radio de Radio-Canada. Son émission Par quatre chemins n’était pas loin de l’esprit de ce troisième opus d’Harmonium.

‘’Le spectacle d’Harmonium était tout à fait tripatif (pour reprendre un mot propre à Languirand). Un excellent spectacle. Fiori, Locat et le flûtiste, splendide! Un excellent spectacle. J’ai bien aimé ça.’’

Quand on regarde la liste des spectacles donnés par Harmonium dans la foulée de la sortie de l’heptade, on comprendre combien les membres de la formation, Serge Fiori en tête, ont dû être épuisés à la fin de la tournée.

En plus de faire les quatre coins du Québec à répétition, Harmonium visite le Canada (Vancouver, Moncton, Toronto, Bouctouche, Sudbury, etc…) et tourne aussi en Europe (Paris, Lyon, Marseille, Barcelone, Rotterdam, Bruxelles, et même Cambrai, la ville des Bêtises). Sans parler de ce passage ‘’catastrophique’’ sur la côte ouest- américaine.

Le groupe se dissout après cette tournée. Harmonium aura duré grosso modo quatre ans et produit trois disques originaux.

Mais Serge Fiori a encore du gaz. Le 10 mai 1978, il lance 200 nuits à l’heure, un album en duo avec Richard Séguin.

Le vingtenaire que je m’apprête à devenir, qui étudie en sciences politiques à l’Université Laval, travaille comme nouvelliste à CKCV, et est sur le point faire un stage en Belgique, n’a guère le temps d’écrire sur ce disque qu’il écoute pourtant en boucle.

Et c’est la grande éclipse. Fiori disparaît de la scène, et moi je passe des années à Toronto (1981-1989).

 

À distance, je suis harponné par sa voix qui chante la chanson officielle du Festival Juste pour rire de Montréal. Tellement bonne, qu’elle sera utilisée pendant des lustres.

En 1994-1995, alors que je travaille au Montréal Ce soir, je suis appelé à parler du retour plutôt surprenant de Serge Fiori sur disque avec des enregistrements qui célèbrent ‘’l’énergie Shakti et la force élémentaire de la transformation et du renouveau’’.

Ces disques, intitulés Le Mantra Gayatri, Shiva et Divya Shakati, enregistrés avec Peter Keogh, Lakshmi Mathur, et Marie-Jocelyne Dyon, sont constitués de mantras. Si mon souvenir est bon, la critique sert un namasté poli à ces multiples versions de om. Je serais curieux de retrouver dans les Archives de Radio-Canada ce que j’en avais dit.

C’était surprenant et pas à la fois.

Je réécoute ces disques en écrivant ce texte et j’y reconnais le type de voyage au septième ciel que Fiori avait commencé à nous proposer sur l’heptade, et les mantras qu’on retrouvera en 2014 sur la chanson Laisse-moi partir en hommage à son père, ainsi que dans l’œuvre Riopelle Symphonique faite en collaboration avec Blair Thomson.

La première fois que je rencontre Serge Fiori pour une entrevue aura attendu longtemps. Ça se passe chez lui à Longueuil en 2013 à quelques semaines de ma retraite de Radio-Canada.

Un privilège de l’interviewer sur un sujet capital : les raisons de sa disparition de la scène. Cette histoire est racontée par Louise Thériault dans le livre Serge Fiori, S’enlever du chemin.

Vous dire l’importance que cet entretien représentait, on m’avait permis de déborder du temps généralement alloué à un topo. Du double!


Mon reportage fait 4 minutes.

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Ce jour-là, j’ai même demandé à mon caméraman de me prendre en photo avec mon sujet, ce qui ne se faisait pas vraiment à l’époque pour un journaliste aux nouvelles de Radio-Canada. Je le tiens même par les épaules, comme un trophée!

C’est ce souvenir qui m’a inspiré le titre de mon texte : Mon Serge Fiori.

Même à la retraite de Radio-Canada, je continue à m’intéresser à cet artiste qui devient beaucoup plus présent dans l’actualité.

En 2014, Fiori nous offre, enfin, un nouveau disque solo que j’adopte immédiatement et dans son tout. De la chanson Le monde est virtuel, formidable constat de l’air du temps, en passant par Laisse-moi partir déjà mentionnée, et Jamais, sur laquelle il marie de nouveau sa voix à celle de Monique Fauteux, c’est tout bon.

Ce disque vaut deux autres Félix en carrière à Serge Fiori : Meilleur vendeur et Album de l’année- adulte contemporain.

Deux ans plus tard, le 15 novembre 2016, Fiori ressort L’Heptade, en format XL.

Je suis alors journaliste au magazine web avenues.ca.:

‘’Le coffret de trois CD offre une rareté: des images d’Harmonium en spectacle. À l’Outremont! Et il y a aussi une chanson en prime, C’est dans le noir, que Serge Fiori avait écrite pour ouvrir le spectacle L’Heptade. Fiori trouvait que commencer avec Comme un fou, était un peu trop raide. Cette nouvelle chanson, enregistrée au Centre national des arts d’Ottawa en 1977, a été rescapée d’une cassette, elle aussi découverte à la onzième heure. Il y a dans les crédits une mention à Jean-Pierre Bissonnette pour le «débruitage».  Fou ce que la technologie permet aujourd’hui.’’

Et de poursuivre :

‘’ Ce qui m’a renversé et fait verser quelques larmes à l’écoute de L’Heptade XL, c’est la charge émotive qu’il y a dans cette œuvre. On la reçoit différemment selon qu’on a 18 ans, comme au moment de la sortie du disque, ou 58 ans aujourd’hui.

 

Je suis fasciné de penser que Serge Fiori a commencé à écrire ça alors qu’il avait 23 ans. l’heptade témoignait d’une grande maturité musicale.

 

Ça n’a pas vieilli. C’était déjà en dehors du temps en 1976 comme en témoigne entre autres la  fabuleuse pièce instrumentale Lumière de jour du pianiste Serge Locat.

Ces musiciens se sont adressés à notre intelligence et nous ont ouverts à une autre dimension. J’avoue que ça nous amène à regretter cette époque où la création musicale pouvait être à la fois libre et rassembleuse. l’heptade, un ovni dans le paysage musical québécois en 1976, s’est quand même vendu à plus de 300 000 exemplaires. SUCCÈS UN JOUR, SUCCÈS POUR TOUJOURS.

Pourquoi un tel succès à l’époque? Beaucoup à cause de la voix humaine et chaleureuse de Serge Fiori. De sa fragilité. Et que dire de sa poésie grande ouverte permettant à chacun d’y mettre son vécu personnel. À n’en point douter, Harmonium fera rebelote avec L'Heptade XL en 2016, à la différence qu’aujourd’hui, tout cet univers est accolé à plein de souvenirs pour nous les plus vieux. Quant aux jeunes, je les envie d’avoir la chance de découvrir cette musique avec des oreilles vierges. L’aspect initiatique de ce projet demeure, 40 ans plus tard.’’

 

Avant de quitter le lancement qui avait lieu au Métropolis, une autre petite photo avec Serge Fiori. C’est cette photo, modifiée, que j’ai utilisée pour parler de la mort du chanteur sur mes réseaux sociaux le 24 juin.

 

Selon le cadrage choisi, elle offre trois perspectives de la dernière fois que j’ai rencontré Serge Fiori en personne.

Mais de 2016 à 2025, les occasions de se colleter au travail de Serge Fiori sont demeurées quand même nombreuses.

 

En 2019, c’est le Cirque Éloize qui, à l’occasion du 25e anniversaire de sa fondation, nous transporte dans l’univers d’Harmonium avec Serge Fiori Seul ensemble au Théâtre St-Denis.

Je ressors du spectacle partagé. J’ai aimé la partie cirque, la musique aussi, mais je trouve Serge Fiori omniprésent dans la facture de cette production mise en scène par Benoit Landry.

Pas facile d’écorcher une idole, mais je l’ai fait. Faut être honnête!

‘’Il y a une quinzaine de tableaux. Souvent intenses, parce que les chansons de Fiori le sont, comme Si bien, du plus récent disque de Fiori, qui devient un prenant duo de sangles où Guillaume Paquin et Nicole Faubert nous épatent. La pièce instrumentale L’exil, tirée de L’heptade, nous laisse le souffle court lorsque le funambule Laurence Tremblay-Vu quitte la salle sur un fil de fer en passant littéralement au-dessus de la tête des spectateurs. L’ensemble du spectacle est plutôt sombre. Heureusement, il y a deux moments plus joyeux: de la jonglerie pour Viens danser et des espiègleries autour d’un mât chinois sur Dixie, un tableau dont la scénographie recrée en trois dimensions les fleurs et les papillons de la pochette du disque La cinquième saison.

 

J’ai lu les réactions de mes collègues à la suite de la première. On est dans le grand dithyrambe. C’est effectivement très bon, mais je n’ai malheureusement pas atteint le nirvana comme je l’espérais. Pendant tout le spectacle, la présence de Serge Fiori dans le déroulement de l’histoire, son image sur les écrans géants et ses interventions en voix off m’ont semblé de trop, narcissiques même, court-circuitant l’émotion et le côté onirique de la proposition.

 

Dans l’art de rendre hommage à une grande œuvre, le Cirque du Soleil à Trois-Rivières avec sa série Hommage (à Beau Dommage, Charlebois, Plamondon, les Colocs) et le spectacle Dance Me des Ballets jazz de Montréal, sur la musique de Leonard Cohen, ont beaucoup mieux fait.’’

En 2020, c’est au tour de l’OSM de s’emparer de l’œuvre d’Harmonium. Histoires sans paroles revisite toute l’œuvre du groupe Harmonium pour en faire une version symphonique. 140 minutes de musique coréalisée par Simon Leclerc et Serge Fiori.

Je verrai la version concert de ce disque à la Maison Symphonique le 8 juin 2023.

Voici ce que j’en disais sur FB :

‘’J’ai mis du temps à me convaincre, mais ce soir j’ai vu Harmonium symphonique dans sa version dépouillée intitulée Pure symphonie.

À la Maison symphonique, on a laissé tomber les projections et l’enrobage pour offrir un concert où la musique prenait toute la place, dirigée avec fougue par la chef Dina Gilbert.

Si je n’ai pas été si emballé par l’enregistrement sonore d’Harmonium symphonique, la version live m’a complètement rallié à cette idée de donner un habit classique à cette musique que j’ai découverte alors que j’étais adolescent.

Les arrangements de Simon Leclerc nous amènent ailleurs, au point que j’avais parfois peine à reconnaître la pièce originale.

Mais en voyant les musiciens jouer sur scène, j’ai trouvé que cette proposition se justifiait totalement.

Les arrangements sont grandioses. Ils font beaucoup de place à un instrument qu’on entend rarement autant dans les concerts, la harpe. La clarinette, la flûte traversière, les timbales ont aussi plusieurs belles occasions de se faire entendre.

Ce concert, produit par Nicolas Lemieux, est généreux. En plus du grand orchestre, on a droit à un important chœur (des jeunes de Laval), et à la participation (trop courte) de Luce Dufault et Kim Richardson.’’

 

Harmonium en version symphonique, en version cirque, remastérisée, disons que Serge Fiori a repris le temps perdu depuis 2013.

 

Au point d’être au nombre des têtes de Turc de 2022 Revue et corrigée au Rideau Vert comme je le relevais dans ma critique du spectacle.

‘’Les capsules préenregistrées ont souvent un humour plus cinglant que les numéros live sur scène. En se moquant de sa manière de tirer le maximum de jus des vieux disques d’Harmonium, on épingle avec beaucoup d’à-propos l’omniprésent Serge Fiori.’’

Je ne peux cependant pas l’accuser d’avoir pris trop de place lors de la création de Riopelle symphonique, une idée du producteur Nicolas Lemieux présentée à la salle Wilfrid-Pelletier en février 2023 dans le cadre du centenaire du peintre.

La collaboration entre Serge Fiori, grand fan de Riopelle et le compositeur et chef d’orchestre Blair Thomson a été exemplaire. Tout un défi quand même de transposer sur une partition les grandes périodes de la vie du peintre!

Voici ma critique (beaucoup plus longue que celles que j’écrivais à l’adolescence) sur avenues.ca le 17 février 2023 (je ne parle pas tant de Serge Fiori, car il a davantage travaillé dans l’ombre cette fois).

‘’D’entrée de jeu, je dois avouer que j’avais des appréhensions. Raconter la vie de Jean Paul Riopelle en se basant sur des chansons écrites par Serge Fiori, aussi bonnes soient-elles, me semblait un défi casse-gueule.

Aussi, lorsque j’ai entendu la musique composée par Blair Thomson (quand même l’homme derrière La Symphonie rapailllée) à l’émission Toute une musique de Marie-Christine Trottier sur Ici Musique, mon oreille réfractaire à la musique contemporaine a trouvé ça bien indigeste.

Mais voilà, cette musique est faite pour être entendue et vue en concert.

Ça se passait donc à la salle Wilfrid-Pelletier (Wilfrid Pelletier, un petit gars de Sainte-Marie comme Riopelle), où l’OSM n’a pas bien sonné comme ça depuis longtemps. Cette musique a besoin de volume pour qu’on la ressente, et il y en avait sous l’impulsion d’un chef, Adam Johnson, totalement investi dans la mission qu’on lui a confiée. Au point même de revêtir une queue-de-pie blanche sertie de plumes d’oie, une création de la designer Marie Saint Pierre, une proche de Riopelle associée au projet pour les tenues de scène.

Le plateau était rempli de la formation habituelle (cordes, cuivres, percussions), mais aussi de deux harpes, un piano, et je crois avoir vu, entendu, un clavecin. Les percussionnistes doivent avoir un plaisir fou à interpréter cette œuvre, car Blair Thomson leur a fait la part belle. Il y a des moments très Stravinsky dans sa musique.

Mais le clou de cette œuvre, c’est le rôle qu’on fait jouer à la voix humaine. Les Chœurs des Petits chanteurs de Laval et Temps Fort offrent une performance époustouflante. De voir ces enfants complètement dédiés à leur mission pendant toute la durée de cette œuvre longue et exigeante nous change du discours souvent désespéré qu’on entend à propos des jeunes. Bien encadrés, ils sont capables d’accomplir des choses magistrales.

L’autre élément qui fait de ce concert une réussite et un must à voir, c’est, pour utiliser une expression à la mode, un parfait exemple de médiation culturelle.

Oui, il y a la musique, inspirée d’un homme marquant, mais encore faut-il savoir qui est Riopelle et ce qu’il a fait pour apprécier cette partition inspirée de sa vie.

Le producteur Nicolas Lemieux a travaillé très fort pour que ce spectacle soit aussi visuel et documentaire. On ne soupçonne pas la difficulté de réaliser un tel tour de force. À elle seule, la négociation des droits d’utilisation des œuvres de Riopelle doit ressembler à un Everest.

Mais Lemieux n’a reculé devant rien pour que son projet soit également didactique. Pas un didactisme plat, quelque chose de flamboyant comme les œuvres de Riopelle. En passant les éclairages sont somptueux.

Chacun des 5 actes de la symphonie est précédé d’extraits de la grande entrevue que Jean Paul Riopelle a accordée à Fernand Seguin au Sel de la semaine en 1968. Dans cet échange mémorable, on sent que les deux hommes connectent. Malgré leur parler pointu, ils sont naturels et concrets. Le peintre se révèle beaucoup par rapport à son expression artistique.

Pardonnez-moi de ramener ça à moi, mais j’ai retrouvé dans ces extraits d’entrevue, le même discours que Riopelle m’avait servi lorsque je l’ai rencontré à L’Île-aux-Grues en 1991. Par exemple lorsqu’il parle de la transe dans laquelle peindre le mettait, au point de ne pas savoir combien de temps il met à faire un tableau. Il m’avait aussi parlé de cette éternelle insatisfaction qui l’habitait, qui l’obligeait constamment à retourner dans son atelier pour essayer de faire mieux.

Revenons au concert.

Pour ajouter à l’effet qu’il fait sur nous, il y a cette présence d’un support visuel impressionnant, providentiel pour entrer dans l’univers de Riopelle. Chaque acte est illustré d’œuvres du peintre. Marcella Grimeaux a fait un travail colossal pour nous faire voir la diversité et la sophistication de l’œuvre de Riopelle, et l’abondance de sa production.

Comme cet homme a travaillé dans sa vie! L’ampleur de sa production est impressionnante.

Des cinq actes, le dernier est le plus poignant autant musicalement que visuellement. Évidemment, c’est la période des oies et de la peinture à l’aérosol. Il y a une telle fulgurance dans ces tableaux réalisés à partir des années 1980.

L’acte V, nommé Aeternitas, commence avec une envolée d’oies blanches, au ralenti. Leur nombre est hallucinant. M’est alors revenu en tête ce qu’il m’avait dit en 1991:

«Les oies, je ne suis pas arrivé à en faire autant qu’il y en a dans le ciel. Tant que je n’aurai pas réussi à en faire autant qu’il y en a dans le ciel, je ne pourrai pas m’arrêter.»

Un an plus tard, il faisait sa fresque Hommage à Rosa Luxemburg.

Ces souvenirs dans ma tête et les chœurs qui reprennent les fameux mantras du disque de Serge Fiori paru en 2014, m’ont finalement amené à conclure hors de tout doute que ce projet un peu fou est une extraordinaire réussite.

Un orchestre fabuleux, des chœurs grandioses, des compositeurs inspirés, une Fondation Riopelle ouverte et généreuse, tous ces efforts pour célébrer un de nos plus grands artistes, ça m’a rappelé la fameuse phrase de René Lévesque  (dont on célèbre aussi le centenaire): «On est quelque chose comme un grand peuple.»

Et quand on sort de Wilfrid-Pelletier, on tombe sur un magnifique Riopelle! Dire qu’on avait fini par ne plus le remarquer!’’

 

Riopelle, Lévesque, ces deux géants du Québec évoqués dans ma critique, Fiori est allé les rejoindre le 24 juin 2025. Il n’y a pas de hasard!

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En 2019, Serge Fiori a été fait Compagnon de l’Ordre des arts et des lettres par le Conseil des arts et des lettres du Québec.

Sa première grande reconnaissance!

Rappelons-nous qu’il a été fait chevalier de l’Ordre national du Québec seulement ce mois-ci, et qu’il n’a jamais été nommé membre de l’Ordre du Canada!

Je me fais une gloire personnelle d’avoir été membre du jury du Conseil des arts et des lettres qui l’a élevé au titre de Compagnon.

Avec Hannah Claus, Kevin McCoy et Mélissa Verreault, le choix de Serge Fiori avait été évident pour représenter la musique et Montréal dans cette cohorte très relevée.

Rideau Opéra, Micheline Beauchemin, 1969

Photo: Victor Diaz Lamich

Photo: Victor Diaz Lamich

photo: Alexandre Claude

La Bolduc, Jean Paul Riopelle, 1964
© Succession Jean-Paul Riopelle / SOCAN (2017)

photo: Alexandre Claude

Pour terminer, le mot que j’ai écrit ce jour-là :

 

Serge Fiori (1952-2025) parti.

Un 24 juin. Lui qui a marqué le Québec d’une manière indélébile, un peu débile aussi tellement ça a été fou comme période que nous sommes encore si nombreux à chérir.

Depuis plus de 50 ans que Serge Fiori fait partie de nos vies. À force de l’écouter, on a chacun développé notre propre image mentale de ses chansons.

J’avais 16 ans quand j’ai été happé par la musique d’Harmonium. Avec ma blonde du temps, qui est encore celle d’aujourd’hui, on a fredonné à répétition ses chansons dont les paroles étaient probablement vagues pour qu’on y mette librement (c’était l’époque et l’esprit de l’artiste) le sens qu’on voulait.

 

‘’Et l’attente qui m’avait si bien prédit

Où tout est mort et presque rien n’est dit

J’ai regardé si loin que je n’ai rien compris

Il fallait bien un jour que j’en sorte à tout prix’’

 

Avouez que c’est assez flou comme texte, mais la musique qui l’habille et l’interprétation qu’en fait Fiori se sont imprimées en chacun de nous. D’une manière si authentiquement québécoise.

 

Pourquoi un tel succès à l’époque? Beaucoup à cause de la voix humaine et chaleureuse de Serge Fiori. De sa fragilité.

 

Cette fragilité nous l’a enlevé pendant plusieurs années. La rareté nourrissant le mythe.

 

Pendant sa longue absence, on a écouté et réécouté ses albums avec Harmonium, celui avec Richard Séguin, le duo avec Diane Dufresne, celui avec Nanette Workman. Tout ça comblait le manque. Même le réentendre interpréter la chanson de Juste pour rire nous procurait du plaisir.

 

Au fil des années, le train dans lequel les fans de la première heure sont montés n’a jamais cessé d’ajouter des wagons pour accueillir les nouvelles générations d’admirateurs. Le temps n’a pas de prise sur Serge Fiori.

 

Et il nous est revenu, triomphant, en solo, en version cirque, en mode symphonique pour accompagner les œuvres de Riopelle, et avec des versions remasterisées des premiers enregistrements, pour prolonger le plaisir.

 

Dieu qu’il nous a donné beaucoup, même une cinquième saison.

Son départ, en ce 24 juin 2025 caniculaire, nous laisse tous atones en ce jour qui devrait pourtant en être un de célébration.

 

Puisons à ses mots pour se consoler: ''Comme si on avait tous peur de se l'dire/Qu'on a du mal à naître, à se regarder mourir/ Comme un sage Monte dans les nuages/Monte d'un étage/Viens voir le paysage

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