photo: Pierre Dury
Michel Donato, Bleu sur le vif, Stanley Péan, Mains libres
15-01-2024
Il est grand le mystère de la contrebasse. Voilà un instrument qui, en dépit de sa taille, peut passer inaperçu dans l’orchestre. Pourtant, son rôle est capital.
‘’La contrebasse est le pouls de l’orchestre, comme le cœur pour l’humain’’ a déjà dit en entrevue Michel Donato, le grand contrebassiste québécois à qui l’animateur et écrivain Stanley Péan consacre une costaude biographie aux éditions Mains libres (Michel Donato : bleu sur le vif).
Quand Donato ajoute : ‘’lorsque la contrebasse s’arrête, tout est fini, c’est la mort’’, ce n’est pas par vantardise, mais une métaphore qui rappelle le jour où son propre cœur a failli le lâcher.
Le livre commence d’ailleurs avec cet accident cardiaque survenu à Province Town au Massachussets en 2000. C’était le premier été depuis de nombreuses années qu’il manquait le Festival international de jazz de Montréal où il a été, depuis la fondation de l’événement en 1980, un pilier indispensable.
Le rythme est donné. Pendant 428 pages, on voyagera à travers les deux temps de sa vie. Avant et après son bogue de l’an 2000 personnel. Ces années où il apprend et s’échine à sortir le meilleur de ce bétail d’instrument, et ces autres années à réapprendre à pincer les cordes de ‘’la chose’’, comme il appelle sa contrebasse, lui qui a momentanément perdu la force pour la faire vibrer.
Michel Donato est de descendance italienne (de la première vague, 1875-1922). Né à l’été 42, il tombe jeune dans la potion magique. Son père, Roland, est musicien. C’est donc naturellement qu’il se trouve à jouer dans des orchestres avec, dès le début, un béguin pour le plus gros instrument du band, celui capable d’être à la fois rythmique et harmonique, et le jazz, cette musique qui fait si bien entendre son son unique.
Il y a l’expression ‘’c’est en forgeant qu’on devient forgeron’’, il en va de même pour la contrebasse. Donato accepte toutes les occasions de jouer pour découvrir les infinies possibilités de son instrument.
Et dans une ville comme Montréal, ce ne sont pas les scènes qui manquent pour exercer son pizzicato. Il devient un incontournable des boîtes de jazz, mais aussi des studios d’enregistrement et de télévision. Il met sa dextérité sur les cordes au service d’une variété incroyable d’émissions (Jeunesse oblige, Jazz en liberté, Jazz sur le vif), et d’artistes : Ginette Reno, Fernand Gignac, , Diane Dufresne, François Dompierre, Félix Leclerc, Diane Tell (la contrebasse sur la chanson Gilberto, c’est lui). Il accompagne même Charles Aznavour et Michel Legrand lors de leurs longues tournées au Québec.
En ce qui a trait aux engagements plus spécifiquement jazz, qui ont été l’essentiel de sa carrière, il donnera le rythme à une multitude de grosses pointures qu’on pense à Oscar Peterson avec lequel il a joué à travers le monde, Bill Evans, Toots Thielemans et tous les barons canadiens du jazz, Oliver Jones, Vic Vogel, Guido Basso, Lorraine Desmarais, etc..
Si je limite mes énumérations c’est par manque d’espace, un dilemme que Stanley Péan n’a pas, les éditeurs lui ayant offert le luxe d’aller dans le détail. (L’index des noms cités compte à lui seul 19 pages)
La cadence que Michel Donato maintient toute sa vie durant est hallucinante. Ne reculant pas devant le défi que cela représentait, Péan nomme tous les musiciens qui ont joué avec Donato, comme il le fait dans ses présentations de disques à ses émissions Quand le jazz est là et La Boîte de jazz sur Ici Musique. Et il répertorie aussi toutes ses gigues en carrière.
Cela confère une dimension très référentielle au livre, un peu pointue pour le béotien, mais qui donne la mesure de l’immense contribution que Michel Donato a apporté à la musique québécoise et canadienne.
À travers cette montagne de notes, l’auteur réussit quand même, grâce à des entrevues et une recherche exhaustive dans les archives des médias canadiens, à tracer le portrait de cet instrument si particulier et du virtuose que Michel Donato est devenu en en jouant si souvent.
Stanley Péan écrit d’abord : ‘’Bon nombre de mélomanes ne soupçonnent pas la quantité d’efforts à fournir pour produire ne serait-ce qu’une seule note à la contrebasse….Les notes elles-mêmes naissent avec peine…elles le font avec un bruit sourd tenant tour à tour du gémissement ou du bourdonnement.’’
Son élève Guillaume Bouchard renchérit : ‘’le jeu de contrebasse n’est pas affaire d’égo, le contrebassiste n’est pas là pour faire la star. Il est plutôt là pour rendre service….’’.
Alors qu’André Ménard, cofondateur du FIJM, le plus grand festival de jazz au monde, y va de cette déclaration :
‘’Ce que j’admire le plus chez lui, c’est sa rigueur et sa discipline en acier inoxydable. Il connait toutes les pièces dans toutes les tonalités, ce qui est phénoménal et extrêmement rare chez les musiciens.’’
Et Ginette Reno de conclure : ‘’Il fait partie de ces légendes de la contrebasse qu’on écouterait pendant des heures…c’était presque péché d’oser chanter par-dessus ce qu’il jouait.’’
Il y a dans ces quelques citations, et dans tout le livre du reste, tout ce qui fait la grandeur de Michel Donato, ce musicien est un géant dans sa discipline, un géant discret mais néanmoins vital à la musique. Un bleu sur le vif!