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La Moldavie vue par le journaliste Michel Labrecque
21-07-2024

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Est-ce qu’il vous arrive d’anticiper la venue au pouvoir de Donald Trump aux États-Unis. Celle de Pierre Poilièvre au Canada?

Moi oui.

Mais quand on se compare, on se console. J’ai confirmé cet adage en lisant le livre de Michel Labrecque: La Moldavie dans l’œil du cyclone russe.

L’avenir de la Moldavie est bien plus angoissant que le nôtre comme le suggère le titre de ce livre.

Voilà le pays le plus pauvre d’Europe, ancienne république soviétique devenue indépendante en 1991, coincée géographiquement entre l’Ukraine et la Roumanie, dont la population aura, dans l’année à venir, à se choisir un nouveau gouvernement et décider si elle veut intégrer la Communauté européenne.

 

Ça, c’est si la Russie de Poutine ne décide pas de lui faire la guerre pour ramener sous son influence ce petit territoire de 2 millions et demi d’habitants.

Je ne m’attendais pas à être aussi fasciné par cet essai. Il faut dire que Michel, que je connais depuis nos années à Radio-Canada à Toronto il y a 40 ans, a développé dans son métier de reporter l’art d’expliquer les situations compliquées.

Quand Radio-Canada l’a affecté en Moldavie pour la première fois, en 1991, l’URSS implosait, et il ne connaissait rien de ce satellite abandonné à lui-même. Il s’est vite pris d’affection pour ce bled partageant certains enjeux que le Québec connait.

Imaginez un petit pays (grand comme la Belgique) sur un grand continent, qui, sous l’impulsion de son indépendance, parvient à renouer avec sa langue et sa culture, à s’affranchir d’une culture dominante, et même à améliorer ses mœurs politiques et faire échec à la corruption instituée en système depuis des lustres. Il y a aussi en Moldavie une minorité qui tient mordicus à ce que rien ne change pour garder l’ascendant qu’elle a sur la majorité.

N’est-ce pas qu’il y a dans le parcours de la Moldavie de quoi intéresser les Québécois?

Alors Michel a pris cet écheveau et tente de le démêler depuis plus de 30 ans. Son livre est la somme de ses connaissances, et il arrive à un moment stratégique de l’histoire.

Il a fait trois séjours en Moldavie : en 1991, juste après l’accession du pays à l’indépendance, en 2006, après le retour au pouvoir des communistes, et en 2023 dans le sillage de l’électrochoc qu’a représenté l’élection d’une présidente non-communiste, anticorruption, et pro-européenne.

Au fil des ans, Michel Labrecque sillonne donc le pays, rencontre les Moldaves de toutes allégeances, sonde les cœurs des expatriés, interroge les spécialistes, lit les écrivains du pays (Iulian Ciocan, le spécialiste de la dystopie, Tatianna Tibuleac, une plume acérée qui dissèque l`âme, Vladimir Lortchenko (qui vit à Montréal), le portraitiste surréaliste de la Moldavie).

Tout ça avec le concours du fixer (guide-accompagnateur-interprète) qu’il avait déniché lors de sa première visite, le journaliste Mihai Fusu devenu un ami, et le collaborateur crédité sur ce livre.

L’ouvrage s’enrichit considérablement de cette contribution. Mihai Fusu est précieux pour nous aider à comprendre ce pays complexe. Son histoire personnelle en est un bon exemple. Il est roumanophone, langue latine comme le français, parlée par la majorité. Mais il maitrise aussi très bien le russe ayant étudié à Moscou. Pas n’importe quelles études : le théâtre à la prestigieuse École supérieure de théâtre Vakhtangov (Vakhtangov est un disciple de Stanislavski), ce qui en fait un homme de théâtre de haut niveau lorsqu’il revient dans sa Moldavie natale.

Influencée par la trajectoire de son ami, le récit de Michel Labrecque emprunte donc souvent le chemin du théâtre pour nous expliquer le pays, comme l’impact politique que peut avoir la production de pièces comme En attendant Godot de Beckett ou Rhinocéros de Ionesco qui parlent, sans y toucher précisément, de l’éléphant dans la pièce.

Mihai Fusu fait aussi du théâtre documentaire. On est loin de J’aime Hydro de Christine Beaulieu. Fusu s’intéresse aux ‘’tabous’’ du pays, ceux qui font mal, qui plombent l’évolution de cette jeune république indépendante, qu’on pense à la violence conjugale, l’exploitation sexuelle, la traite de personnes, le rejet de l’homosexualité ou l’inégalité des rapports hommes-femmes.

De la capitale Chisinau (avec une cédille sous le s et un accent sur le a)  à Tiraspol, en passant par Balti, Iasi,  Orhei, sans oublier la Transnistrie (pas évidente à visiter, car cette région russophone s’est déclarée indépendante), et la Gagaouzie, l’ouvrage de Michel Labrecque nous fait aussi voyager dans le pays.

Je craignais me perdre avec tous ces noms bizarres de lieux et de personnes, mais si on peut plonger dans Tintin et le Sceptre d’Ottokar, écrit par Hergé pour les 7 à 77 ans, on est aussi capable de lire La Moldavie dans l’œil du cyclone russe.

Le livre est écrit dans une langue française simple, vivante, imagée, un style hérité d’une écriture radiophonique raffinée pendant des décennies par ce journaliste méticuleux. J’ai aimé aussi qu’il nous aide à comprendre avec des exemples québécois, français, suisse, ou belge. Cela offre à cet essai la possibilité d’être publié dans tous les pays de la francophonie.

Parlant de francophonie.

Cet ouvrage est traversé d’un fait trop peu souvent soulevé : l’importance du français dans le monde, notamment dans les pays roumanophones.

J’ai été tellement ému de constater que nombre des interlocuteurs de Michel parlaient français, une langue enseignée en Moldavie, et offrant souvent aux apprenants une ouverture sur le monde, sur une autre manière de penser, sur la liberté.

J’ai arrêté de compter le nombre de fois que l’auteur mentionne que ses interlocuteurs parlent un excellent français, y compris son guide-ami Mihai Fusu.

Malheureusement, l’anglais gagne du terrain vers la fin du livre, alors que la Communauté européenne courtise, dans la langue de Shakespeare, son futur membre.

Si la Russie s’interpose dans le destin de la Moldavie, c’est le russe qui risque de revenir. En imposant, de sinistre mémoire, l’alphabet cyrillique à la langue moldave. Comme autrefois?

Je m’excuse d’être long, mais franchement ce livre m’a vraiment plu. Avec celui de Jean-François Lépine sur la Chine (Les angoisses de ma prof de chinois), cet ouvrage, publié chez Art Global, compte parmi mes lectures utiles, et en même temps passionnantes, de l’année.

Dans 3 semaines ce sera le 12 août, journée J’achète un livre québécois. Mettez ça sur votre liste. Vous lirez québécois sur un phénomène étranger qui risque bien d’être le prochain sujet chaud de l’actualité internationale. J’aime à dire qu’avec des histoires réelles pareilles, pas besoin de fiction.

 

PS : à propos du vin et de la bouffe

Michel n’oublie jamais d’ancrer ses reportages dans la vraie vie. Aussi parle-t-il de bouffe et de vin.

La Moldavie est un pays pauvre, mais il nous raconte que ses terres sont pleines de potentiel. On y cultive notamment la vigne qui donne, apparemment, un vin exceptionnel. Les vignobles se trouvent dans des régions du pays où le climat ressemble à celui de la Bourgogne. On y cultive des cépages français notamment le Cabernet Sauvignon, le Merlot, le Chardonnay et le Sauvignon blanc. Le livre nous apprend même les raisons qui font que la Moldavie possède la plus grande cave à vin du monde (2 millions de bouteilles), et que le vignoble Beauchemin, à Yamachiche au Québec, a été racheté par une ingénieure moldave installée ici, Liudmila Terzi.

J’ai  été tellement curieux de cette industrie que j’ai acheté tout ce qu’il y avait de moldave sur les tablettes de ma succursale de la SAQ. Pas un gros risque, ils étaient tous dans la section Petits Prix.

À moins de 9$, voilà un rapport qualité-prix exceptionnel.

 

J’aimerais maintenant goûter à cette cuisine rudimentaire dont le livre parle et qui m’a fait saliver : aubergines Badrijani (cuites en tranches puis fourrées d’une sauce aux noix, ail, khameli suneli et coriandre), khinkalis (raviolis fourrés de différents ingrédients) et placinte, brioche salée fourrée de telemea, un caillé roumain.

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