
photo: Pierre Dury
À Marseille avec Robert Guédiguian et sa Pie voleuse
09-06-2025








Marseille fait du cinéma.
Encore une fois, le réalisateur Robert Guédiguian nous convie dans sa ville natale. Comme son tout premier long métrage, Dernier été (1981), et pour Marius et Jeannette (1997) et Les Neiges du Kilimandjaro (2011), son plus récent film, La Pie voleuse (2024), a été tourné dans le quartier de l’Estaque qui l’a vu naître en 1953.
Ce quartier populaire (qui se gentrifie) est situé au nord de Marseille, dans le 14e arrondissement. Il est traversé par la ligne ferroviaire du RER, survolé par les avions qui atterrissent à l’aéroport Marignane, mais il offre aussi une vue magnifique sur la mer et ses bateaux, les montagnes et même la basilique Notre-Dame de la Garde, si loin mais toujours visible.
C’est dans ce même quartier que se dressent les fameuses lettres géantes blanches qui forment le nom MARSEILLLE, immanquables quand on rentre en ville en train en provenance d’Aix.
En passant, ces lettres ont été érigées par NETFLIX en 2016 pour le tournage de la série Marseille avec Gérard Depardieu et Benoît Magimel. La série avait été sévèrement critiquée, mais les lettres qui évoquent celles de Hollywood sont restées.
Revenons à La Pie voleuse qui se passe donc à l’Estaque.
Maria (Ariane Ascaride) et son mari sont dans la soixantaine. Lui n’a plus vraiment de boulot et perd beaucoup d’argent à jouer aux cartes au café du coin. Elle, elle fait des ménages chez des personnes âgées pour boucler les fins de mois. Le couple fait partie de ces gens qui arrivent à ce moment de la vie où, souvent, tu n’as plus les moyens d’habiter la maison que tu possèdes.
D’autant que Maria, passionnée de musique, a des dépenses coûteuses. En plus d’aimer les huîtres, elle loue un piano pour que son petit-fils, si talentueux, devienne un grand musicien. Pourquoi pas comme Rubinstein, qu’elle écoute en boucle dans ses écouteurs.
Pour payer ces extras, l’aide à domicile pige dans le pot de ses clients. Après tout, un 5 ou un 10 euros à la fois, ça ne paraît pas, et ne leur fait surtout pas mal, dans l’esprit de Maria.
Là où ça devient risqué, c’est lorsqu’elle subtilise des chèques à M.Moreau, imite sa signature, pour payer la location du piano ou pourquoi pas des cours privés à son petit-fils, si prometteur!
Or, il arrive que quelqu’un la dénonce pour abus de confiance ce qu’il l’amène au commissariat. Elle ne finira quand même pas comme Ninetta, condamnée à mort pour crime de vol domestique, dans l’opéra La pie voleuse de Rossini.
Robert Guédiguian est moins dur à l’égard de son personnage principal.
Le réalisateur, qui n’a jamais caché son côté gauchiste, tend plutôt un piège à son public, appelons ça un dilemme moral.
Comment reprocher à cette femme si serviable et bonne, ses écarts à l’endroit de ces personnes âgées seules et argentées, dont on se préoccupe par ailleurs si peu, alors qu’elle les dorlote à chacune de ses ponctuelles visites.
Le film pose aussi la question de l’accès à la culture. Oui, comment peut-on devenir un grand pianiste de concert quand votre mère est caissière dans une épicerie, votre père camionneur, quand la grand-mère est ménagère, que le grand-père est un ouvrier, sans ouvrage?
Il y a du Ken Loach (réalisateur britannique) dans ce cinéma social et réaliste.
Guédiguian, qui ne laisse rien au hasard (à commencer par le titre emprunté à l’opéra de Rossini) y va de toutes sortes de petits détails qui finissent par donner un film à la fois divertissant, et qui fait réfléchir. Et cela a tout pour me plaire.
Encore plus cette fois-ci, car j’arrive de deux semaines à Marseille et que j’ai eu un plaisir fou à revoir ses rues pentues, sa mer bleue et son ciel azur, ses marchés aux poissons, son tramway direction Castellane, et d’entendre nommées, avec l’accent du midi, les noms des rues Canebière et du Prado.
Plaisir supplémentaire, j’ai adoré retrouver les fidèles acteurs de Guédiguian: Ariane Ascaride, toujours aussi attachante, Jean-Pierre Daroussin, Gérard Meylan, Jacques Boudet (mort après le tournage à 89 ans), Robinson Stévenin, qui figuraient tous dans Que la fête continue, son film précédent dont l’action se passait dans le quartier marseillais de Noailles.
Au cinéma depuis vendredi, merci à K-Films Amérique de nous amener fidèlement toutes les offrandes de Robert Guédiguian.