
photo: Pierre Dury
Voir La grazia de Paolo Sorrentino la grâce que je vous souhaite
17-12-2025

Le film La grazia commence par un écran de fumée tricolore créé par Les Frecce Tricolori de l’armée de l’air italienne (qu’on a vus dans le ciel de Montréal en juin 2024), et la nomenclature de tous les pouvoirs que la constitution accorde au président de la République italienne.
Et revoici donc le seul et unique Paolo Sorrentino qui nous subjugue par l’image, tout en nous replongeant dans cette manière si singulière qu’ont les Italiens de faire les choses, d’appréhender la vie.
Nous convoquant à la réflexion, le nouveau film de Paolo Sorrentino est une offrande philosophique sur l’amour, le pardon, et la mort avec cette phrase (elle aurait pu donner son titre au film), qui revient comme un leitmotiv, ‘’À qui appartiennent nos jours?’’
Le réalisateur du grand succès La grande bellezza, que j’ai tant aimé avec le même Tony Servillo, nous amène donc à suivre, pendant 2 heures et quart, un homme perclus de doutes.
Cet homme, c’est Mariano De Santis, et il est le président de la République italienne.
Tout le contraire d’un Trump qui signe frénétiquement des décrets dans son bureau ovale doré rempli de spectateurs partisans, Mariano De Santis se terre dans ses grands appartements du Palais du Quirinal, et il procrastine. Particulièrement devant un projet loi sur l’euthanasie (les Italiens n’en sont pas au concept de l’aide médicale à mourir) que le gouvernement souhaite le voir sanctionner avant son départ imminent..
Juriste émérite, éthicien, démocrate-chrétien, être tout ça le fait hésiter à dire oui à l’euthanasie.
Même quand vient le temps de décider du sort du plus beau cheval de la garde républicaine qui agonise.
Il hésite aussi à accorder sa grâce présidentielle à deux condamnés à la prison à perpétuité pour avoir tué leurs conjoints par amour.
Il faut dire qu’il a lui-même sur la conscience de n’avoir jamais pardonné à sa défunte et adorée épouse de l’avoir un jour trompé. En plus, avec qui? Il ne l’a jamais su, et cela gruge son flegme, interfère dans son jugement.
Voici ce que dit Sorrentino de son film:
‘’…. j'ai ressenti le besoin de faire ce film à un moment historique où l'éthique semble parfois être facultative, évanescente, opaque ou, en tout cas, trop souvent invoquée uniquement pour des raisons instrumentales.
L'éthique est une chose sérieuse. Elle fait tourner le monde.
Et Mariano De Santis est un homme sérieux.’’
Voilà le canevas de base. On jongle donc avec des concepts éthiques et moraux, c’est costaud. Comme chacun sait, les Italiens parlent beaucoup, et vite. Attelez-vous, les sous-titres défilent à l’avenant.
Mais, fidèle à son habitude, le réalisateur habille son histoire de mille atours pour en faire une véritable fresque cinématographique qui nous éblouit, encore une fois.
Il y a d’abord la relation que le président entretient avec sa fille, qui se trouve à être sa principale conseillère. L’actrice Anna Ferzetti joue à merveille la partition. Dorotea De Santis est vraiment la fille à son père, mais avec le souffle plus court, comme on le constatera en cours de route.
Alors que dans plusieurs de ses films précédents, Sorrentino a pris un plaisir sadique à démontrer le côté obscur et vil du pouvoir politique, il nous fait ici un portrait presque documentaire de la vie présidentielle, souvent émouvant tant les images sont belles.
Il y a notamment le garde du corps totalement dévoué (il fournit entre autres les clopes quand vient le moment de fumer en cachette sur les remparts du Quirinal), le côté pittoresque que peuvent avoir les forces armées italiennes (dont le président est le chef suprême, ne l’oublions pas), le protocole, le décorum, la solitude du pouvoir suprême.
On n’est pas prêt d’oublier les scènes où le président accueille son homologue portugais, où il chante avec la Brigade alpine Julia, slam un flow du rappeur Guè, assiste à un opéra à la Scala, ou lorsqu’il s’entretient en privé avec le pape.
À propos du pape, le film La grazia a été tourné avant l’élection du nouveau souverain pontife Léon XIV. Or, Sorrentino, qui a déjà imaginé un pape jeune dans sa série The Young Pope (avec Jude Law dans le rôle), a pris de l’avance sur les cardinaux, et fait du pape de son histoire un noir avec des dreads, qui se déplace en moto, en soutane blanche!
Le personnage, incarné par l’acteur ivoirien Rufin Doh Zeyenouin, ne règle pas le dilemme du président indécis, mais il l’éclaire sur son besoin de légèreté, celle que, manifestement, l’homme d’État envie à son compatriote-astronaute en mission depuis une éternité dans la station spatiale internationale.
Cette histoire donne vraiment beaucoup à voir et à songer. Que demander de mieux d’un film?
Lors du Festival de Venise, où l’acteur Tony Servillo a remporté la Coupe Volpi de la meilleure interprétation masculine, La grazia a été ovationné pendant plus de six minutes.
Les Italiens ont un avantage sur nous, ils peuvent piger toutes les subtilités, œillades, et références que le réalisateur a mises dans son film.
Pour augmenter le plaisir que j’ai eu à voir La grazia, je me suis amusé à en débusquer quelques unes.
Par exemple, de qui Paolo Sorrentino s’est-il inspiré pour son personnage de président?
De plusieurs, a-t-il dit en entrevue.
Mais avouons qu’il y à plusieurs ressemblances avec l’actuel président Sergio Mattarella qui est, comme le président du film, un juriste de tradition démocrate-chrétienne, et veuf depuis la mort de sa femme en 2012.
Mattarella réside donc seul au Palais du Quirinal depuis son élection en janvier 2015.
10 ans au pouvoir, cela en fait le président ayant servi le plus longtemps.
Aucun autre des 11 présidents précédents n’a dépassé le septennat prescrit par la constitution italienne de 1948.
Mattarella a eu cinq premiers ministres depuis 2015.
Sur le sujet de l’euthanasie, c’est la Cour constitutionnelle qui a ouvert, en 2019, la possibilité de demander le suicide médicalement assisté. Il a fallu attendre février 2025 pour qu’une première région d’Italie, la Toscane, se dote d’une loi sur la fin de vie.
Autre emprunt de Sorrentino à la vie du président Mattarella, sa rencontre avec l’astronaute que l’Italie a envoyé dans l’espace en 2011.
Il s’est entretenu avec Luca Parmitano en 2019.
Une vidéo de cet échange existe sur YouTube.
Parmitano a fait deux séjours dans la station spatiale internationale (SSI) pour un total de 366 jours et 23 heures!
Lors de sa première sortie dans l’espace, sa mission a été interrompue lorsque de l’eau s’est infiltrée dans son casque. Il a failli mourir noyé dans sa combinaison.
L’histoire ne dit pas s’il a pleuré sur son sort, mais dans La grazia, l’astronaute verse une larme, et elle demeure en suspension pendant un long moment dans la SSI, ce qui impressionne grandement le président.
Ça, c’est directement sorti de l’imagination du réalisateur et scénariste, car notre Chris Hatfield national a déjà démontré que l’astronaute qui verse des larmes dans l’espace a intérêt à sécher ses pleurs. Il en a d’ailleurs fait la démonstration dans une vidéo toujours disponible sur le web.
Restons dans la technologie, pour dire un mot sur le chien renifleur qui, à la fin du film, mène le convoi accompagnant le président sortant vers son appartement personnel.
Il y a tout lieu de croire qu’il s’agit de Saetta, le chien robot que les carabiniers de Rome ont acquis à la fin de 2023 pour les assister dans leurs opérations, notamment pour désamorcer des bombes.
On a écrit à l’époque que ‘’l'introduction de Saetta dans l'équipe des carabiniers était une décision stratégique en vue du Jubilé de 2025’’. Ce grand événement de la catholicité aurait attiré plus de 30 millions de visiteurs à Rome depuis le début de l’année.
Paolo Sorrentino s’amuse aussi à inventer des situations. Dans son film, il imagine son président découvrir le rap qu’il écoute avec un gros casque d’écoute offert par sa fille. Il apprend même par cœur les paroles d’une chanson de Guè qui, lui, est un vrai rappeur, très populaire en Italie. Le président de La grazia lui remet même une médaille.
Évidemment, la chanson Le Bimbe Piangono de Guè se trouve sur la bande sonore du film avec d’autres pièces hétéroclites qui vont de 5 Mins Of Acid de Ki/Ki, à Surf Rider de Il est vilaine, Street Acid de Lou Reed, jusqu’à Trentatrè de la Fanfara Della Julia.
On trouve cette liste de musique sur YouTube!
Dans La grazia, il y a une scène qui se passe dans la somptueuse salle de la Scala à Milan. Le président y est chaleureusement applaudi.
Celle-là, Sorrentino ne l’a pas inventée.
En décembre 2022, alors qu’il assistait à l’opéra Boris Godounov de Moussorgski, le président Mattarella a reçu une ovation de presque 4 minutes. La même chose s’était produite en 2018 et en 2021.
Terminons avec les enfants du président.
Dans la vie, Sergio Mattarella en a trois, une fille et deux garçons, l’un des deux garçons est directeur du bureau de la législation du département de l'Administration publique et de la Simplification. La loi, c’est de famille!
Quant à sa fille, Laura, elle agit comme ‘’Première dame’’.
‘’Le rôle de compagne présidentielle n'est pas forcément attribué à l'épouse du chef de l'État : en effet, si ce dernier devait être célibataire ou veuf, une femme de son entourage peut se voir confier la charge de l'accompagner dans le cadre de ses activités. Depuis 2015, Laura Mattarella remplit un devoir de représentation auprès de son père, dont l'épouse est décédée en 2012.’’
Dans le film, le président a une fille, qui est sa conseillère, et un garçon.
Ce dernier vit …surprise!….à Montréal.
Quand sa sœur en informe son père, elle précise qu’il y est très heureux à faire de la musique.
La réaction du paternel en est une d’étonnement.
On ne voit le fiston qu’à la fin dans un FaceTime aux côtés de sa sœur, une affiche du Festival de jazz derrière eux.
Mais ce n’est pas une affiche du Festival international de jazz de Montréal.
C’est drôle, j’ai un doute que l’idée d’un fils à Montréal vienne de Paolo Sorrentino. Est-ce que ce ne serait pas plutôt une coquetterie chauvine de l’auteur des sous-titres?
Si vous voyez le film avec sous-titres anglais, vous me direz dans quelle ville du monde le fils du président a déposé ses pénates?
La grazia est notamment présenté aux Cinémas du Musée et Beaubien ainsi qu’à la Cinémathèque québécoise en version originale, sous-titres français, et au Cinéplex Forum en version originale, sous-titres anglais.


