
photo: Pierre Dury
Beau Dommage, C'est ben gravé dans ma mémoire
23-12-2025

‘’23 décembre
Joyeux Noël, Monsieur Côté,
Salut ti-cul, on se r’verra le 7 janvier…’’
Depuis que j’ai 16 ans (j’en ai 67, faites le calcul), cette chanson de Noël (écrite par Pierre Huet, composée par Michel Rivard, et figurant sur le premier disque de Beau Dommage) est une incontournable du temps des fêtes.
Parce que j’aime faire coïncider les sujets que j’aborde et les dates, j’ai attendu au 23 décembre pour parler d’un livre qui a tous les attributs du cadeau de Noël tant il est une surprise, et qu’il fait plaisir à lire.
Ce livre, paru il y a deux mois, c’est la ‘’biographie’’ de Beau Dommage, intitulée C’est bien gravé dans ma mémoire, une autre formule qu’on doit à Pierre Huet (sur Ginette faite avec le même Rivard).
Ce bouquin, on le doit à Jean-François Brassard qui a passé 40 ans à Écho Vedettes.
Je le précise tout de suite, ce journaliste culturel possède l’art de tirer les vers du nez des artistes, de bien rendre leurs confidences, et de mettre de l’ordre dans les circonvolutions du showbiz.
On le sait, Beau Dommage a beaucoup existé par consensus, discussions, votes, une manière de faire très secrète, héritée des années de commune et de peace and love. On l’a souvent évoqué, mais on a rarement expliqué comme ça se passait dans les faits.
Eh bien mission accomplie, il y a quelque chose de la remise à l’heure des pendules dans cet ouvrage écrit avec beaucoup d’amour pour son sujet, mais sans complaisance.
Bien des choses sont dévoilées au grand jour.
L’auteur aborde même des sujets généralement tabous, la répartition de l’argent qui vient des droits d’auteur, et la cohabitation des égos.
En disséquant chaque disque, chanson par chanson, on voit bien le mérite qui revient à chacun. Chacun loue ses bons coups, et personne ne se défile devant ce qui a moins bien marché.
J’ai entre autres enfin compris pourquoi après avoir acheté l’éponyme Beau Dommage, en 1974, Où est passée la noce en 1975, et Un autre jour en ville en 1976, l’adulte que je m’apprêtais à devenir ne s’est pas procuré Passagers en 1977.
Même si les membres de BD disent avoir préféré cette galette à la précédente, j’ai commencé à décrocher du groupe avec ce quatrième album en quatre ans. Et je n’étais pas le seul, à partir de 1977-78, les salles deviennent plus difficiles à remplir.
Exactement comme j’aime que les choses soient faites, Jean-Francois Brassard nous part le compteur à zéro.
Il commence par nous faire le portrait-robot de chacun des membres.
J’ai été fasciné de constater à quel point on n’a pas à faire à des quidams.
On constate que, jeunes, ils sont tous un peu tombés dans la potion magique.
Michel est le fils du comédien Robert Rivard. À l’adolescence, il joue dans ‘’Rue des pignons’’ téléroman très populaire de Radio-Canada.
Pierre a comme père François Bertrand, annonceur à Radio-Canada (la voix des ‘Belles histoires d’un pays d’en haut’’), ami proche de René Lecavalier, propriétaire d’un commerce qui vend des disques et des livres. À la maison, le garçon de la maison s’initie, déjà, aux harmonies vocales avec ses sœurs.
Robert a comme paternel Gérard Léger, chef architecte à Radio-Canada, responsable de toutes les stations au pays.
Parce qu’il a du talent en dessin, Pierre Huet est, à 9 ans!, un invité régulier d’une émission de télé animée par, excusez du peu, Dominique Michel, Jacques Normand et Normand Hudon.
Marie-Michèle Desrosiers fréquente un couvent et passe beaucoup de son adolescence à apprendre le piano. Elle a Thérèse David comme amie, la future attachée de presse de Guy Latraverse.
Réal Desrosiers n’a pas 16 ans et il est déjà batteur des Ravens. Ses copains s’appellent Claude Meunier, Michel Normandeau, Serge Fiori.
Et avant d’être un Beau Dommage, Michel Hinton sera, entre autres, accompagnateur de son pote Serge Thériault lorsqu’il se produit Chez Clairette.
En traçant leurs profils individuels, on voit rapidement se croiser les trajectoires de ces jeunes montréalais appelés par la création tout azimut.
La Quenouille bleue, la Famille Casgrain, le Théâtre Sainfoin où ils atterrissent un jour, servent d’incubateurs à Beau Dommage.
Mais, nous rappelle Jean-François Brassard, il s’en est fallu de peu pour que le groupe, au nom improbable, ne décolle jamais, malgré la volonté, l’enthousiasme, les contacts.
Le succès a été si fulgurant au début qu’on a en effet oublié les multiples écueils qui ont failli, entre la signature du contrat avec Capitol, compagnie de disques basée à Toronto, en juillet 1973, et la sortie du disque le 9 décembre 1974 à l’Hôtel Nelson, faire dérailler ce projet.
Avec un souci remarquable du détail et un sens développé du punch, Jean-François Brassard nous permet de revivre les moments marquants par lesquels Beau Dommage est passé, du jour 1 à aujourd’hui.
De Montréal à Paris, en passant par toutes les villes du Québec qui n’ont de cesse de les réclamer parce que ce groupe suscite un réel enthousiasme partout où il passe.
Si les débuts sont exaltants, les lendemains ne chantent pas toujours comme n’hésite pas à l’écrire l’auteur.
À eux seuls, les titres des chapitres et des paragraphes sont éloquents.
On va de ‘’bombe à retardement’’ à ‘’grand raz-de-marée’’, de ‘’refus global’’ (c’est qu’elle a la tête dure la bande des sept), à ‘’essais et erreurs’’, et ‘’tempête parfaite’’.
Cette tempête parfaite évoque la fin du groupe en avril 1978 avec un ultime spectacle.
Où? ‘’Of all places’’, à Plantagenet en Ontario!
Oui il faut lire ce livre pour comprendre comment Beau Dommage en est arrivé là aussi précipitamment. Et pour constater aussi comment la formation aura droit à plusieurs renaissances par la suite.
Tout ça nous est raconté avec force détails et confidences qui étonnent toujours par leur franchise.
J’ai beau avoir écrit une ‘’critique’’ du premier disque de Beau Dommage dans mon journal étudiant en 1975, quelques semaines après sa sortie, je dois dire que je ne les ai couverts professionnellement qu’à partir du moment où je suis revenu de mes années à Toronto, ce qui correspond à peu près au moment où ils se remettent ensemble pour faire le disque Échappée belle.
Autrement, j’ai réalisé en lisant cette bible sur Beau Dommage que j’ai échappé des grands bouts de leur histoire, qu’elle n’était pas si bien gravée dans ma mémoire.
C’est fou tout ce que j’y ai appris, tout ce que j’ai oublié.
J’en reviens toujours pas du lien qui unit Beau Dommage à mon cher Julien Clerc. J’ai été surpris d’apprendre que le photographe Pierre Guimond a été le concepteur des pochettes des quatre premiers albums de Beau Dommage (la photo du premier disque est prise angle Laurier et Saint-Laurent, celle de Un autre jour arrive en ville à l’angle de Peel et Sainte-Catherine), étonné que Rachel Paiement du groupe CANO a été la choriste de Michel Rivard sur la chanson Méfiez-vous du grand amour (sur le premier disque solo de Rivard, précurseur de la rupture), et déçu de moi d’avoir oublié que c’est Denis Villeneuve qui a réalisé le vidéoclip de la chanson Tout simplement jaloux en 1996, quelques années après avoir remporté La Course destination monde. Il avait déjà une signature!
Merci à Jean-Francois Brassard d’avoir ravivé ma mémoire, et aux éditions Les Malins pour ce bel objet, aussi réussi que l’ouvrage Jean Leloup-Des grands instants de lucidité publié il y a deux ans.
C’est exactement l’idée que je me fais d’un livre sur la chanson.
Emballé sous le sapin, je vous jure que ça fera un beau cadeau, moins facile à deviner que le 33 tours de jadis.
23 décembre, Joyeux Noël Monsieur Huet, salut Brassard!
À la revoyure!
PS
Pour rester dans l’esprit des fêtes, je vous laisse avec une autre chanson de Noël parue dans la foulée de ‘’23 décembre’’.
Dans les rues d’Ottawa du groupe Franco-ontarien CANO est interprétée par Rachel Paiement évoquée plus haut. Cette chanson aura 50 ans en 2026!

