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Une langue universelle de Matthew Rankin
02-02-2025

Comme en 2024, mon année 2025 commence en lion en matière de cinéma.

 

J'ai vu, lundi matin, en visionnement de presse, le film Une langue universelle. Ça fait une semaine que je cherche la manière d’aborder le sujet.

Hiiiii!

Pas facile de parler de cet ovni cinématographique que j’ai vraiment aimé.

 

C’est tellement en dehors des codes du cinéma populaire. Tout à fait dépaysant! Une heure 30 qui permet de s’extraire 

du surréalisme de bas étage qui nous vient de la maison ovale. 

 

C’est l’histoire d’un fonctionnaire québécois qui décide de quitter son travail pour retourner dans la capitale manitobaine auprès de sa mère en fin de vie. Un peu inspiré de la vie du réalisateur Matthew Rankin, né à Winnipeg en 1980, qui a fait ses études en histoire à McGill et à l’Université Laval, avant de devenir un adepte de cinéma expérimental, émule du réalisateur winnipegois Guy Maddin, grand admirateur du cinéma iranien, et cinéaste québécois.

 

Au cours de son périple jusqu’à sa mère, Matthew (joué par le réalisateur lui-même) fera la rencontre de différents personnages nés de l’imagination de deux amis scénaristes québécois d’origine iranienne. Dans ce qu’on pourrait qualifier de film choral, tout ce beau monde est relié dans une grande démonstration de l’absurdité de la vie très influencée par ce que la pandémie nous a laissé comme stigmates. 

 

Mais comment vous convaincre d’aller voir ce film à la Stéphane Lafleur (En terrains connus, Tu dors Nicole, Viking), servi à la sauce iranienne façon Jafar Panahi, c’est-à-dire en super réalisme sans trop de couleurs? L’équivalent cinématographique d’une poutine ghormeh-sabzi.

 

Si je vous dis que le film est en persan (en فارسی comme on dit en Iran), avec sous-titres français, que l’action se passe à Winnipeg (où les nuits sont longues selon la chanson de Stéphane Venne), que les vedettes du film sont Rojina Esmaeili, Saba Vahedyousefi, Sobhan Javadi, Pirouz Nemati (également scénariste), Ila Firouzabad (également scénariste), je pense que c’est pas si winner-Winnipeg! 

 

Alors j’ajouterai, pour être un plus convaincant, qu’il y a aussi dans la distribution des vedettes que vous avez vues à la TV ou au cinéma : Mani Soleymanlou (La femme de mon frère, Avant le crash), en prof d’immersion sur le bord de la crise de nerf (Soleymanlou, qui est né à Téhéran, peut enfin jouer dans sa langue maternelle). Et il y aussi Danielle Fichaud (la mère de Céline dans Aline), que vous ne reconnaîtrez pas, car elle incarne un gros fonctionnaire épais du gouvernement du Québec, sous une immense photo de François Legault, ce qui nous donne une scène d’anthologie du cinéma québécois. 

 

Il y a aussi de belles dindes à l’écran. Des belles dindes noires qui gloussent. Il y en a même une qui subtilise les lunettes d’un enfant qui ne voit que dalle, et une autre qui fait le voyage en autobus entre Montréal et Winnipeg sur le siège immédiatement derrière la chauffeuse d’autobus, au grand dam de la passagère voisine, qui glousse tout autant.

 

Ce n’est pas tout, le film offre aussi une visite guidée de Winnipeg. On se promène d’un centre commercial vide (comme le sera un jour le Royal Mount?) à un cimetière situé au milieu d’une bretelle d’autoroute (ce qui ressemble parfaitement à la manière dont on traite notre mémoire), en passant par un monument local du patrimoine mondial: une mallette oubliée sur un banc de parc! Tout ça par un froid à fendre les pierres, car  toute l’action se passe l’hiver, un vrai hiver ‘’frette et blanc comme un lavabo’’ comme il n’y en a que dans les Prairies. La sortie du film en janvier est d’ailleurs tout à fait appropriée!

 

Non, mais attendez, ne partez pas, ce n’est pas tout. Il y a des enfants aussi dans le film. Aussi bons que dans un Conte pour tous. Une classe d’immersion française complète. La langue des élèves n’est pas l’anglais, mais le fārsī. Il y en a un qui veut élever des chèvres, une qui veut être ingénieure, un autre qui souhaite devenir le nouveau Groucho Marx. Il a déjà la moustache et les lunettes! Ils finiront tous en punition dans le placard, peut-être parce qu’ils ont trop d’ambition aux yeux de leur prof désabusé.

 

Dans cette classe, il y aussi deux fillettes, Negin et Nasgol, déterminées à récupérer un billet de banque (un Riel, après tout on est au pays de Louis Riel!) prisonniers d’un trou d’eau glacée. Ce billet de 100 pourrait payer pour le remplacement de la paire de lunettes que leur camarade de classe a perdue aux mains d’une dinde, comme je l’ai déjà dit. C’est d’autant plus important que leur professeur a pris l’élève en grippe depuis qu’il ne voit rien au tableau.

On suit nos deux intrépides jeunes filles dans les dédales de cette ville à l’architecture proche du brutalisme, aux noms de quartier super éloquents : le quartier beige, le quartier brun, etc…(quelles photographie et direction artistique)

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Vous n’êtes pas près d’oublier leur quête pour trouver une hache pour casser la glace qui emprisonne le billet de banque. On les suit à la quincaillerie, à la boucherie (ou la dinderie devrais-je dire?), même à l’édifice Kleenex qui a des présentoirs de boîtes de papiers mouchoirs comme vous n’en avez jamais vus.

 

Il y a aussi de la poésie dans ce film. Attention, je suis ici un divulgâcheur, ce qu’on pense être un poème iranien est finalement la chanson These eyes du chanteur winnipegois Burton Cummings, qu’on entend avec bonheur sur le générique de fin.

 

Avez-vous compris que ce film est complètement gentiment déjanté? 

Pour en tirer le maximum de plaisir, il faut accepter cette proposition hautement originale et en dehors des codes habituels du cinéma populaire. 

 

J’aurais été très curieux de voir la réaction que ce film, soumis par Téléfilm Canada, aurait suscitée au Québec et au Canada s’il s’était trouvé à gagner l’Oscar du meilleur film étranger. Donald Trump, lui, aurait vraiment été mélangé sur notre identité nationale. En attendant, Une langue universelle est promis à une belle carrière en festival. C’est déjà commencé avec plus de 90 sélections en festivals, et un palmarès comptant 15 prix à ce jour, incluant le Prix de la meilleure découverte canadienne du Festival de Toronto.

 

Tiens, en voilà un bon argument pour vous convaincre d'aller voir ce film au cinéma!

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