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Les 50 ans du Festival international du film de Toronto vu par ma lorgnette
07-09-2025

Le tiff, ce festival pas stiff qui a tiré le tapis rouge sous les pieds du FFM de Serge Losique au fil des ans, a 50 ans!

Moi qui fréquentais avec tant de plaisir le prestigieux et très couru Festival des films du monde (FFM) de Montréal (fondé en 1977) à ses débuts, je suis tombé sous le charme du Festival des festivals dès que je me suis installé à Toronto en 1981.

Pour un francophone travaillant dans le milieu des communications, c’était une fête et un luxe de pouvoir avoir accès à tant d’artisans du cinéma s’exprimant en français pendant 10 jours.

À ses débuts, le Festival des festivals était une petite organisation sympathique qui présentait, début septembre (immédiatement après le FFM), les meilleurs films des grands festivals à travers le monde. De là son nom : Festival of Festivals, appellation abandonnée en 1994 pour Toronto International Film Festival, le tiff (le t minuscule est d’eux).

Le centre de gravité du festival se trouvait dans le très ‘’preppy’’ quartier Yorkville, plus précisément à l’Hôtel Windsor Arms, rue St Thomas, et à l’Hôtel Park, sur Avenue Rd.

Les films étaient notamment projetés au Varsity, au Showcase, et dans les salles du Uptown et du Cumberland, non loin les uns des autres.

Dans cette ère post-référendum perdu au Québec, ce festival chouchoutait tout ce qui venait de la belle province.

J’ai un souvenir précis de l’accueil extrêmement chaleureux qui avait été fait au film ‘’Les fleurs sauvages’’ de Jean-Pierre Lefebvre. Une long-métrage de 152 minutes mettant en vedette Marthe Nadeau, Michèle Magny et Pierre Curzi, pas exactement des super stars au Canada anglais, ni au Québec du reste.

Je m’en rappelle parce qu’au cinéma où nous nous sommes rendus, nous avions fait la rencontre de deux anciens de l’Université Laval, nouvellement arrivés comme nous, Pierre qui travaillait à la Délégation du Québec à Toronto, et sa conjointe Louise, sur le point de devenir enseignante à l’école française Gabrielle-Roy au centre-ville de Toronto. Il a suffit d’une projection pour que nous devenions amis pour la vie!

Quand je dis que le Festival du film de Toronto était accueillant pour les Québécois, parlez-en à Jean Beaudin (venu présenter ‘’Mario’’ avec Francis Reddy en 1984, et nommé par la suite 7 fois aux prix Génie), à Yves Simoneau (venu présenter ‘’Pouvoir intime’’ en 1986 et nommé 9 fois aux prix Génie) et à Denys Arcand.

Ce dernier est débarqué à Toronto avec ‘’Le Déclin de l’empire américain’’ en 1986, et on lui a littéralement déroulé le tapis rouge. Même si ce festival n’était pas compétitif, on attribuait un prix du meilleur film canadien et un prix du public. Arcand a obtenu les deux. Il a ensuite reçu 8 trophées au Gala des prix Génie, et la Bobine d’or. La voie était pavée pour une nomination aux Oscars. C’est alors que le Festival des festivals de Toronto a commencé à être vu comme un sésame pour briller à Hollywood.

L’émission Radioclip que j’animais à CJBC, la radio de Radio-Canada à Toronto, avait profité du passage de l’équipe du film, pour faire une heure complète sur ‘’Le déclin de l’empire américain’’, en direct du penthouse de l’Hôtel Park. Dominique Michel, Yves Jacques, Louise Portal, Geneviève Rioux, Denys Arcand, même René Malo, un des producteurs, s’étaient confiés à mon micro.

En 1986, j’ai aussi accordé une heure d’antenne de mon émission à Jean-Jacques Beineix venu présenter son extraordinaire film ‘’37,2 le matin’’.
Même s’il venait de remporter le Grand Prix des Amériques et le prix du film le plus populaire au FFM de Montréal, Beineix avait un très grand attachement pour la très anglophone Toronto.

En effet, le réalisateur français doit en partie au Festival des festivals sa mise en orbite. En 1981, après avoir été éreinté par la critique, son film ‘’Diva’’ ressort ragaillardi de l’accueil enthousiaste que lui réserve la Ville Reine. Il en repart avec le prix de la critique attribué par les journalistes qui couvrent l’événement.

Au cours de mes années à Toronto, j’ai vu une kyrielle de films au Festival des festivals. Des que j’ai oubliés, et des mémorables comme ‘’Jean de Florette’’, ‘’Manon des sources’’, ‘’Quatre Aventures de Reinette et Mirabelle’’ de Rohmer avec un jeune Fabrice Luchini, ‘’Chocolat’’, premier film de Claire Denis, ‘’Mauvais sang’’ de Leos Carrax, ‘’Les portes tournantes’’ réalisé par Francis Mankiewicz, etc.

Quand j’ai quitté la capitale ontarienne en 1989, j’avais la conviction que ma culture cinématographique n’avait pas souffert de mes huit années à Toronto. Merci au Festival des festivals! J’ai par contre perdu contact avec cet événement qui n’a cessé de grossir et de devenir, plus que jamais, une antichambre d’Hollywood. Ce qui me plaisait nettement moins.

En 1994, le Festival des festivals est devenu le tiff, et a cultivé encore davantage le culte du tapis rouge, que j’ai toujours eu en horreur.

Est-ce que ça fait avancer le cinéma d’avoir des hordes de journalistes qui crient leurs questions, souvent sottes, à des acteurs et des réalisateurs obligés de passer par ce barrage pour venir défendre leurs films?

N’empêche, on m’a envoyé deux fois couvrir le tiff à Toronto. En 2006 et 2007. Deux grosses années pour le cinéma québécois qui avait encore et toujours la cote auprès des programmateurs du festival.

Quelques titres présentés ces années-là: ‘’Congorama’’ de Philippe Falardeau (qui est encore invité cette année), ‘’Cheech’’, de Patrice Sauvé avec Patrice Robitaille (film que je n’avais pas épargné même si Patrice avait été un jour mon réalisateur au culturel), ‘’L’âge des ténèbres’’ de Denys Arcand, ‘’Soie’’ de François Girard, ‘’Continental, un film sans fusil’’ de Stéphane Lafleur.

Sans parler de la présence de Roy Dupuis et du général Roméo Dallaire pour ‘’J’ai serré la main du diable’’, de Marie-Josée Crozes pour ‘’Le scaphandre et le papillon’’.

J’y étais beaucoup pour couvrir les artisans québécois, mais impossible de passer à côté des mégas vedettes internationales qui font la file jour après jour pour vendre leurs films.

À donner le tournis. En 2006, Brad Pitt et Russell Crowe pour ‘’Babel’’, Almodovar pour ‘’Volver’’, l’incontournable Sacha Baron Cohen qu’on découvre dans ‘’Borat’’, le très controversé film D.O.A.P., un mocumentaire de Gabriel Range sur ‘’l’assassinat’’ de George W. Bush, et Nanni Moretti avec son ‘’Caïman’’, satyre sur Sylvio Berlusconi.

En 2007, parmi les gros canons qui attiraient l’attention, mentionnons Brian de Palma avec ‘’Redacted’’, ‘’Rendition’’ avec Reese Whiterspoon, Jake Gyllenhaal, Juliette Binoche et Meryl Streep, ‘’In the Valley of Elah’’ avec Tommy Lee Jones, Charlize Theron, Susan Sarandon, et Michael Moore avec son ‘’Captain Mike Across America’’. Et je ne parle que des jours où j’étais de faction.

Tant de films inspiré du malaise causé par le président va-t-en guerre George W. Bush et son invasion de l’Irak, quand je regarde ça aujourd’hui (à la lumière de l’ère Trump), je ne peux m’empêcher de trouver que le tiff était grandement inféodé à la culture américaine.

En 2006, je n’ai malheureusement pu rencontrer Moretti, car j’ai été rapatrié à Montréal en plein festival. La fusillade du 13 septembre au Collège Dawson avait fini par occuper tout le temps disponible dans les bulletins de nouvelles.
Plus de place pour le cinéma d’Hollywood!

Je suis retourné à Toronto en 2007, toujours avec la même demande que je faisais à mon réalisateur terrain Daniel Beauchemin: pour mes directs me trouver une petite place en dehors de l’enclos des journalistes agglutinés le long du tapis rouge. Je ne voulais pas être dedans. Je voulais qu’on voit le cirque, car le tapis rouge est autant la marque de commerce du tiff que les films qu’il présente. La preuve? Parmi les produits dérivés du tiff, il y a même un tapis rouge! En puzzle!

Dans un monde qui carbure aux vedettes, c’est ainsi que le Festival international de film de Toronto a consolidé sa place parmi les 5 premiers grands événements cinématographiques mondiaux.

Cannes, Venise, Berlin, Busan (en Corée), et Toronto, voilà le quintette qui donne le ton sur la planète cinéma.

Le Festival des films du monde de Montréal qui s’est longtemps targué d’être le seul festival de films de catégorie A en Amérique du Nord a disparu dans la poussière du bureau de son fondateur Serge Losique sans jamais avoir atteint son cinquantenaire. Dommage, j’aimais bien qu’il nous offre la possibilité de faire notre propre ‘’Course autour du monde’’ grâce à un plantureux menu de 400 films à choisir.

Donnons quand même au tiff d’être né modestement, avant le FFM, et d’avoir su durer 50 ans en étant, comment faire autrement, toujours au goût du jour et de la majorité.

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