
photo: Pierre Dury
Je ne tournerai pas autour du pot.
À propos de l’hommage à Daniel Bélanger du Cirque du Soleil, je le dis tout de go: parfait, le spectacle est parfait. Et j’en ai vu des shows du Cirque du Soleil.
Vous me direz : ‘’encore une fois!’’. Que je sors toujours enthousiaste des shows du Cirque du Soleil. C’est vrai, car cette entreprise de création montréalaise a le don de toujours innover et m’emballer.
Mais là, c’est une petite coche en plus au point où je me risque à dire que ce spectacle est l’équivalent québécois de LOVE, mémorable spectacle sur la musique des Beatles! Un de mes shows préférés du Cirque à vie, qui n’est malheureusement plus à l’affiche à Las Vegas après, quand même, 18 ans de succès.
À la différence de Vegas, les productions du Cirque du Soleil à Trois-Rivières sont éphémères. Les incouchables, c’est le titre du spectacle, a commencé le 16 juillet, et, pouf!, il disparaîtra le 16 août. Je vous aurai averti de faire vite pour ne pas manquer ça.
C’est la neuvième année que l’Amphithéâtre Cogeco présente la série Hommage du Cirque du Soleil. Je n’ai manqué qu’une année, en 2024, et je dois dire que je n’ai jamais entendu autant de commentaires positifs fuser spontanément, même dès l’entracte. On s’échangeait des propos du genre: ‘’c’est le meilleur spectacle du Cirque du Soleil ever!’’, des clins d’œil et des pouces levés de satisfaction.
Le choix de Daniel Bélanger y fait pour beaucoup. Depuis plus de 3O ans (Les Insomniaques s’amusent paru en 1992), ce beau fou n’importe où, cet intouchable et immortel, cet insomniaque qui s’amuse, mais qui peut être ensorcelé et désespéré, nous a tatoué ses chansons dans les tympans. Reprendre ses vers d’oreille, même juste quelques-uns, était une promesse de succès.
Réarrangés par Jean-Phi Goncalves, je ne vous dis pas l’effet! À l’entracte, Jean-Phi, qui a fait ce travail d’arrangements pour tous les Hommages du Cirque du Soleil à Trois-Rivières, m’a dit avoir pris un plaisir particulier à revisiter Bélanger, un compositeur qui explore déjà beaucoup les sons lui-même. Ajoutant, ‘’de toutes les musiques sur lesquelles j’ai eu à travailler, celle de Daniel est la plus proche de moi.’’
Quand je lui rétorque que le son un peu métallique qui sort des haut-parleurs semble nous parvenir par moment d’un Spoutnik (il y en a d’ailleurs un dans le décor ‘’spatial’’ de Geneviève Lizotte), il me donne le secret de sa recette : ‘’C’est du Rêveur Reverb!’’
Alors on a donc des bonnes chansons, réarrangées, re-beatées, mais reconnaissables.
Mais la partie n’était pas gagnée d’avance pour autant. Tant de gens aiment dire qu’ils se sont lassés du Cirque du Soleil avec le temps. Plusieurs ont le chauvinisme fatigué à l’égard du fleuron mis en orbite en 1984 par Guy Laliberté. Pourtant, cet empire du Soleil a toujours sa base dans le quartier Saint-Michel à Montréal, et il brille encore partout dans le monde avec un succès qui ne se dément pas.
Autre péril en la demeure pour Les incouchables, très circonstanciel celui-là: la canicule. Je n’ai jamais vu un amphithéâtre en plein air aussi chaud. Sous le toit planté sur le bord du Saint-Laurent, nous étions 3 000 solitudes poisseuses accablées par la chaleur, dans un état proche de la neurasthénie.
Et la magie du spectacle a opéré, nous a sortis de notre torpeur.
Les artistes sur scène ont mouillé leurs beaux costumes signés Philippe Massé, ont lui sous les lumières d’Étienne Boucher, ont eu besoin de craie en extra notamment pour ne pas échapper la partenaire au bout de mains moites (numéro de cadre fixe encore plus éblouissant compte tenu du contexte)
Exit l’inconfort du front qui perle et de la chemise qui colle au dossier, j’ai été soufflé par la troupe qui a enchaîné une suite de numéros rafraîchissant les codes du cirque.
Le funambule en équilibre sur sa ligne lâche, retenu dans les hauteurs par les cheveux, du jamais vu, sur Sèche tes pleurs.
Façon de parler, Nicolas Boivin-Gravel, concepteur de la performance acrobatique, a gonflé la Roue Cyr d'un nouvel air. Cet accessoire qui tourne souvent en rond roule ici à merveille. Ils s’y sont mis à trois Roues Cyr pour donner de l’élan au vélocipédique numéro Intouchable et immortel.
Il y a eu tellement de nouvelles manières d’approcher les disciplines que certaines en ont perdu leur appellation.
Le mat chinois s’est fait voler la vedette par une lumière de rue. On gardera longtemps en mémoire ce numéro avec un réverbère.
En plus d'évoquer celui de la pochette du disque Nous, c'est comme si les mouvements des acrobates répondaient aux titres des chansons de cet album paru il y a 15 ans: Facile,Impossible, Mieux vaut voler, L’équivalence des contraires. Tout ça exécuté sur la pièce instrumentale Traveling.
Pour ce qui est de l’époustouflant numéro de jonglerie, (sur Sortez-moi de moi), il tient davantage de la magie que du simple lancer de balles dans les airs. On y ajoute comme coefficient de difficulté, une structure sur laquelle les artistes font rebondir les balles de tennis jaune avec une concentration qui nous donne également le fix pendant que la mâchoire nous tombe.
Il y a aussi de la planche coréenne, de l’équilibre sur cannes (en très haute altitude), et beaucoup de danse avec notamment deux gagnants de l’émission Révolution Gabrielle Boudreau et Rahmane Belkebiche (sur Les deux printemps).
C’est d’ailleurs au moment de ce numéro, alors que toutes sortes d’accessoires descendent des cintres, qu’un lit se transforme en pick-up, que j’ai commencé à voir une ressemblance avec LOVE du créateur Dominic Champagne qui avait intégré à son spectacle, en 2006, beaucoup de danse acrobatique et une Coccinelle qui se composait et se décomposait, phares allumés, sous nos yeux.
À la fin du spectacle, on a aussi droit à une bataille d’oreillers qui, elle, m’a rappelé la poésie de Cortéo, création de Daniele Finzi-Pasca qui date de 2005.
J’ai trouvé parfait, vraiment parfait que Marie-Ève Millot pimente son spectacle de référence à ses prédécesseurs, elle qui en est à sa première mise en scène au Cirque du Soleil, La comédienne, que vous avez peut-être vue dans 5e Rang ou Les pays d’en haut fait ici une entrée remarquée dans le monde du cirque avec la complicité d’une autre femme, Julie Castonguay, directrice de création au Cirque du Soleil.
Des femmes qui mènent la troupe, des nouveaux talents qui amènent de nouvelles sensibilités, voilà pourquoi le Cirque du Soleil se renouvelle.
À Trois-Rivières, on peut aussi compter sur la bienveillance du grand boss, Daniel Lamarre, un petit gars de Grand-Mère qui est certainement le genre à vouloir offrir le meilleur aux gens de sa région et attirer ceux qui n’en sont pas.
En serez-vous des Incouchables?
C’est la grâce que je vous souhaite.