
photo: Pierre Dury
Mes zones de guerre de Sylvain Desjardins
20-11-2025

Lu: Mes zones de guerre de Sylvain Desjardins paru il y a quelques semaines aux Éditions La Presse.
Comme j’aime toujours être dans l’actualité, voici mon texte en ce début de Salon du livre de Montréal où Sylvain Desjardins sera présent pour rencontrer le public, et en cette journée de diffusion de l’émission annuelle de Radio-Canada sur ses correspondants à l’étranger.
J’ai connu Sylvain, maintenant à la retraite, à nos débuts respectifs à Radio-Canada Toronto, dans les années 1980. Il a connu une grande carrière comme journaliste terrain.
Parce qu’il a beaucoup œuvré à la radio, il a été plus discret dans le paysage médiatique que la moyenne des correspondants étrangers de la boîte.
La radio correspondait parfaitement à l’humilité naturelle de sa personnalité, une qualité que j’ai toujours appréciée chez-lui, car elle venait avec une grande ouverture aux autres.
Dans son livre, il revient sur les couvertures qui l’ont mené en territoires hostiles, comprendre en des lieux où il n’est pas aisé de faire le métier de journaliste.
Et disons qu’au fil des ans, Sylvain Desjardins s’est retrouvé souvent, par affectation ou en proposant lui-même des sujets, dans des zones à haut risque: l’Afghanistan, la République démocratique du Congo, l’Iraq, le Darfour, la Tunisie, le Nigeria et le Niger, et, contre toutes attentes, Paris en 2015.
Son récit est découpé en ces différents moments charnières de l’actualité récente qu’il a couverts.
Journaliste un jour, journaliste toujours, il prend soin de nous rappeler le contexte de sa présence sur ces théâtres d’opérations où il valait mieux, pour en sortir indemne, être équipé d’une veste par balle, d’un estomac solide et d’une bonne dose de sang froid, en plus, bien sûr, d’une excellente connaissance de la géopolitique.
Il nous raconte dans un style très vivant les différents lieux où le destin l’a mené.
J’ai été fasciné par les passages où il évoque le surréalisme des situations dans lesquelles peut se trouver un journaliste de guerre.
Un exemple? Sa traversée du désert en Irak dans un 4X4 Suburban blanc qui roule à tombeau ouvert à 180 km/h dans une zone non sécurisée. Tout ça pour atteindre Bagdad où le dictateur Sadam Hussein vient de tomber avec l’aide des États-Unis, un pays qui était jusqu’alors l’ennemi numéro un des Irakiens.
Moi qui ai toujours une chanson pas loin en tête, cette description m’a ramené celle de Daniel Lavoie: ‘’Tension attention, y a un chauffard qui sniffe ta ligne de vie…’’
Comment on réussit à écrire un topo avec les bombes qui explosent comme bruit de fond? comment on réussit à manger quand tout le monde manque de l’essentiel autour? comment on réussit à dormir quand baisser moindrement la garde constitue un danger? comment on se dépêtre avec la technologie ? avec le décalage horaire? avec les multiples émissions à desservir? etc…
J’aurais pris davantage de pages de cette nature, mais, et c’est tout à son honneur, Sylvain Desjardins préfère parler des gens qu’il a croisés sur son chemin, ceux grâce à qui il a réussi à nous faire comprendre dans notre douillet confort comment la grande actualité qui fait les manchettes se vit dramatiquement par la population sur le terrain.
Il y a des moments extrêmement touchants dans ce récit où l’auteur nous fait revivre des rencontres qu’il a eues avec des êtres humains démunis, broyés, acculés au pied du mur, ou à l’inverse des résilients déterminés à se sortir de leur misère, quand ce ne sont pas des petits miracles de l’existence qu’il nous raconte.
Comme cette femme et cet homme présents au Bataclan le 13 novembre 2015 qui ont chacun perdu leur conjoint dans ce carnage et refait leur vie ensemble, en plus de mettre au monde une petite Bérénice.
Le chapitre où il est question des Attentats de Paris a beaucoup résonné chez-moi. Sa manière de raconter comment il s’est retrouvé à couvrir cet événement m’a rappelé ma couverture du 11-Septembre 2001.
Désolé de ramener ça à moi, mais le livre de Sylvain a été lancé quelques jours après le 24e anniversaire des Attentats de New York, et il a nourri ma mémoire au sujet de cet événement.
Il y a dans sa description les mêmes ordres venus de Montréal de se rendre sur place rapidement, le même saut immédiat dans le taxi en appréhendant le pire, les mêmes premières interventions en s’inspirant de ce qu’on voit, un peu dans le vide car l’histoire s’écrit sous nos yeux.
Tout ça non pas en ‘territoires hostiles’’ mais dans une grande cité civilisée prise d’assaut par des barbares.
Également à propos du 11-Septembre 2001, il y a dans cet ouvrage de fréquents rappels de la portée stratégique que ce moment a eu dans le déroulement du 21e siècle jusqu’à maintenant. Plusieurs des grandes couvertures que Sylvain Desjardins a faites découlent de ce moment de bascule. Pour moi qui craint qu’on finisse par oublier ou diminuer l’importance de cette journée, le lire a été comme un baume.
Je ne peux conclure sans dire un mot sur Danielle Laurin, la blonde de Sylvain que je connais depuis aussi longtemps que lui.
En plus d’être une redoutable écrivaine et éditrice dans la vie, je vois sa présence de tous les instants dans la vie de son correspondant de chum comme un atout qui lui a permis d’accomplir son métier en l’obligeant à toujours mesurer les risques pour ne pas la faire veuve et leurs enfants orphelins, et en ayant toujours une préoccupation à l’égard des femmes et des enfants sur son chemin.
Sylvain le reconnaît, et cela nous offre une magnifique démonstration du pouvoir qu’un couple peut avoir sur sa destinée quand il dure longtemps.


